le portraitiste (du voyageur en attente)

30/07/2018

Selon J-C Béchet, la street photo est « un peu à la photographie ce que le décathlon est à l’athlétisme », c’est « un exercice complet et exigeant ». En d’autres termes il faut tout savoir faire, savoir s’adapter à moult situations. De fait, nous autres les photographes de rue touchons à peu de choses près à tous les registres – avec des préférences, certes. Scènes de la vie quotidienne de la filière nostalgique, en n&b, compositions urbaines aux petits oignons, attentives à la lumière dorée, tout en ombres et lumières ; « slow photo » distanciée jouant sur le mouvement, aux temps de pose allongés, ou « snapshot » rapproché gelant l’action en vitesse rapide, au cœur même de la foule; inclination pour l’insolite, ou le classique…

Au global, le street photographer* se distingue par une certaine polyvalence, une maîtrise générale de la plupart des approches attribuable au genre. Attention, le photographe de rue n’est pas non plus l’équivalent photographique du bridge (ceci pour faire un parallèle avec un matériel grand public le plus souvent (très) médiocre). Il (ou elle) n’est pas celui – ou celle – qui saurait à peu près tout faire, mais le ferait mal. Le plus délicat reste sans doute d’accéder à une personnalité photographique. Nombreux, les photographes !

Il n’est pas dit, par ailleurs, qu’on serait fichu(e) d’effectuer un travail de photojournaliste : savoir rendre compte d’un sujet donné, d’un événement, revenir avec une commande précise, avoir su l’honorer, c’est un boulot à part entière, et il faut savoir compter aussi avec les risques liés à la couverture de certains sujets. Il faut pouvoir voyager, en avoir envie. Dans les deux cas, c’est une pratique souvent ingrate, assez difficile. L’un n’en vit pas, l’autre non plus, ou mal.

Mais revenons sur un point soulevé par Béchet. Celui-ci affirme, toujours dans le n° hors série 36 du Monde de la photo, qu’aujourd’hui « dans la photographie contemporaine, c’est le portrait posé qui est dominant. Question d’époque, question de style, car chacun le sait, il devient de plus en plus délicat de portraiturer des passants dans les grandes villes sans leur autorisation ». On pourrait ajouter : dans les petites villes aussi. Même dans les villages, sans doute. Le droit à l’image fait beaucoup de mal à la photographie de rue. Prenez un tourniquet à cartes postales : vous n’aurez que du noir et blanc, des photos de Doisneau, Ronis, Brassaï (ce qui est bien, mais pour témoigner des années 2000, c’est un peu décalé), ou pour la couleur, et témoigner de notre époque, la tour Eiffel, ou un paysage. L’agence Magnum elle-même avait relevé ce problème. Je le contourne, je fais pour ma part comme si ce droit n’avait aucune existence, à la suite d’autres photographes de rue.

Ici, en petit malin, ma sélection me permet de ne pas risquer grand-chose, entre lunettes noires et mouchoir bien placé pour illustrer la fiche n°7.

*Il faudra revenir sur les termes « street photographer » et « photographe de rue ». Jean-Claude Gautrand, dans le n° hors série, opère un distinguo intéressant, à travers l’histoire de cette pratique, entre ces deux appellations. On y revient plus tard.