voyage 6/10

08/05/2020

N.B. : le 03 mai, Nicolas me propose très gentiment de publier 10 photos sur le thème du voyage. Soit « une photo par jour, à compter de ce jour, sans explication, en choisissant une image qui t’a marquée. » J’amende immédiatement le défi car si je le relève, j’écris un peu. Normal : Nicolas n’est pas sans savoir que je déteste le voyage, à l’instar du regretté Lévi-Strauss – et c’est bien une facétie de sa part que de me proposer d’illustrer le thème. Sixième image.

Pourquoi aller si loin ? Pourquoi courir au-delà des océans, quand au bout de la rue et sans même outrepasser (à pied) le kilomètre réglementaire de la période confinée, au détour d’un passage, vous voilà soudain nez à nez avec un couple de porcs noirs ? Espèce rustique s’il en est, qu’on suppose de Bigorre, on n’y connaît vraiment rien nous les citadins, si ce n’est la version Herta sous cellophane. On a toutefois mis un gros frein sur la « viande » (est-ce donc ainsi que l’on parlait du vivant ?) en raison du LDL vicieux pour la plomberie, des conditions d’élevage honteuses et autres émissions de gaz à effet de serre. Cette espèce paraît non seulement rustique, mais tout droit sortie d’un continent sauvage, hostile… Phacochères de région méridionale envahie par la dengue, le moustique tigre, le moloch hérissé et la fourmi légionnaire ? Voyage sur place, de nouveau… Si ce n’est qu’en marchant, en ville, sans cesse il faut faire attention aux voitures, qui envahissent tout l’espace urbain, le défigurent. Un essai paru chez Folio en 1998 m’est revenu en mémoire. « Le pétro-nomadisme est l’apprentissage le mieux adapté aux comportements de nos démocraties-marchés », écrivait le philosophe Gilles Châtelet (qui n’avait rien contre le cochon) dans Vivre et penser comme des porcs, De l’incitation à l’envie et à l’ennui dans les démocraties-marchés. « (…) l’adhésion au pétro-nomadisme doit être sans faille, tout comme la discipline exigée autrefois du bon soldat. Toute critique un peu acérée de l’homme moyen à roulettes [ou ailé, n.d.l.r.] est sacrilège et n’est qu’une bouffée délirante de tous ces intellectuels qui vivent mal le triomphe de l’individualisme de masse. » Je ne crois pas que cet essai ait hélas beaucoup vieilli à l’heure des croisières en Méditerranée, des SUV omniprésents et des SPA aux Seychelles ajournés. Suis rentré tranquillement, cette balade ayant suffit : je tiens ici ma photo, et mon (minuscule) voyage à pattes en période confinée.