l’attaque de troll

31/07/2019

Costard fripé, chemise blanche fendue d’une cravate noire, sacoche baillant aux pieds, il a l’embonpoint du type qui passe sa vie assis au bureau, devant divers écrans, en journée mais en soirée aussi : tout chez lui respire le cadre moyen, le chef intermédiaire. Je l’imagine placé face à son tableur Xcel, à longueur de semaine, d’année, partageant ses loisirs en famille, au Léon de Bruxelles, ou à l’occasion d’une virée low cost en Écosse, hors saison, lui qui, pendant ses pauses au travail, et le soir encore, depuis son PC, son smartphone, s’anime du besoin de redresser des torts sur la toile, sur Facebook ou ailleurs. Là, il est connu de 42 personnes sous le pseudo de Bob78, étiqueté « super fan » et, sous divers titres de presse, il débonde ses épanchements biliaires à longueur d’année. Cibles préférées : les femmes, les Arabes, les chômeurs. C’est du moins comme ça que je l’imagine, à peu près comme ça. Le bonhomme, ce soir, s’autorise verbalement à me rentrer dans le lard parce que je fais une photo dans le RER, celle de cette femme qui dort. Très bien. Je lui demande, dans un réflexe, s’il est policier, ou photographe. Il me rétorque agressivement que c’est interdit ce que je fais, que je n’ai pas le droit. Fort heureusement, je n’ai pas si souvent que ça affaire à ce genre de troll à ciel ouvert. Ce type de profil me sape généralement le moral quand j’ai la mauvaise idée de m’attarder sur les commentaires laissés par ses semblables, sous les articles de presse, sur la toile. Il hausse le ton tandis que je lui fais remarquer qu’on n’est pas en Corée du Nord, qu’il ferait mieux de se mêler de ce qui le regarde : que les petits flics du quotidien, c’est pénible. Il n’aime pas que je lui dise ça. Il demande à voir mes photos, dès fois qu’il serait dessus… Il me demande ma carte de photographe (sic). Il me dit que je ne suis rien, prend une moue dédaigneuse, me toise comme si j’étais un étron séché. Je tourne les talons, change de rame. Voilà, c’est ainsi que va la vie (et la photo). Nul n’est jamais à l’abri d’une attaque de troll, camarades… Qu’on se le dise ! 🙂