Fabien

25/03/2019

J-L G. a dit un jour que la télévision « produit de l’oubli et le cinéma des souvenirs ». Parmi mes souvenirs de cinéma, il y a cette scène d’un film en noir et blanc, sans doute, dont le titre m’échappe complètement, au cours duquel un homme assis dans la cabine d’un train d’autrefois fait face à un autre, et je crois qu’à ce moment-là de la scène, cet homme qui porte un chapeau regarde le paysage à travers le carreau. Il se fait une réflexion, à part lui, dont nous-autres les spectateurs sommes directement les témoins. Cette réflexion, à propos de son vis-à-vis, dit : « Cela ne fait pas dix minutes que je le connais et je voudrais (ou pourrais) déjà être son ami. » Je ne sais plus s’il dit « voudrais » ou « pourrais ». Peu importe, au fond. Cette séquence m’est revenue car elle correspond à l’effet exact que le contact de Fabien, il y a trois semaines environ, puis deux ou trois autres fois ensuite lorsque j’ai eu l’occasion de le revoir, a produit sur moi. La première rencontre, je l’ai racontée ailleurs, il y a trois semaines, sur facebook – ce n’est pas très glam, FB, je sais… C’eut été mieux de consigner cela sur un cahier au papier vélin à fort grammage, mais on a les supports qu’on peut. Mais je m’égare.

Je me trouvais donc au croisement de la rue Marcadet et de la rue Eugène Carrière dans le 18e arrondissement ce matin-là, baignant dans la lumière rasante, orangée, celle qui vous rend aussi fébrile, quand vous êtes photographe, que le braque posté au détour du sentier à l’instant où le lapin détale par la gauche, pendant la balade. J’étais posté là, la truffe humide, attendant que quelque chose se produise, mais rien n’arrivant, j’allais tourner les talons, et Fabien est apparu avec un sourire inouï sur le pas de la porte de son bar-resto. Soit pile où je me trouvais. Je l’ai donc photographié, illico, sans lui demander son avis, rien. Trois fois. Imperturbable, Fabien est resté souriant, je l’ai remercié je crois, en tout cas dis bonjour, et suis parti sans demander mon reste, comme un voleur.

Lesté de scrupules assez rapidement, peut-être cinq minutes plus tard, je me suis dit in petto qu’il était hors de question de ne pas retourner au bar de ce monsieur – qui non seulement s’était laissé photographié sans moufter, trois fois, mais l’avait très bien pris. Trop rare pour ne pas être pris en considération. J’ai réalisé deux tirages de son portrait avec ma Canon et les lui ai apporté trois ou quatre jours après. Ça tombait de plus parfaitement, le Brio (c’est le nom du bar restaurant) étant sur le chemin du burlingue. C’est à ce moment-là que Fabien m’a appris qu’il pratiquait un art martial, et qu’il était le fils d’un designer très connu, Marc Held, non seulement designer, mais aussi fabuleux photographe. Fabuleux : je pèse mes mots, j’ai pu admirer le travail dans un livre préfacé par Agnès Varda. Voilà, s’il faut retenir deux choses de cela : allez au Brio, si vous êtes à Paris ou y venez. Je n’ai jamais eu un accueil pareil dans aucun autre patelin. Et voyez le travail de Marc Held. En tout cas moi j’y retourne.

C’est fait, et voilà la photo du jour.