voyage 1/10

03/05/2020

Nicolas me propose très gentiment de publier 10 photos sur le thème du voyage. « Une photo par jour, à compter de ce jour, sans explication, en choisissant une image qui vous a marquée. » J’amende immédiatement le défi car si je le relève, j’écris un peu : Nicolas n’est en effet pas sans savoir que je déteste le voyage, à l’instar du regretté Lévi-Strauss – c’est bien une facétie de sa part que de me proposer de l’illustrer. Relevons -le… Contrairement à l’immense Lévi-Strauss, je n’ai jamais rencontré ni étudié aucune société traditionnelle, ni écrit le moindre livre. Ma détestation du tourisme et des touristes reste néanmoins en tous points semblable à celle de l’illustre ethnologue. Je ne suis jamais allé bien loin.

Nul ne m’a jamais démontré que je me prive ici de quelque chose de fondamental. L’impact tout à fait délétère de ces « voyages » lointains – parlons plutôt de déplacements – sur la biodiversité ne fait en revanche plus aucun doute. Cette accumulation sans fin, alerte la science que personne n’écoute, conduit au surplus l’humanité à s’interdire tout avenir. Mon inertie polaire n’a jamais obéré la possibilité de faire l’expérience de l’Autre et de multiples rencontres – sur place. Hormis quelques photographies de ma Drôme natale, je n’ai rien conservé de notable – ce le serait pour qui ? pour quoi ? – de ce qui a pu m’éloigner de mon domicile, au-delà des frontières de ce pays qui est le mien : en cinquante ans, je compte trois déplacements assez loin relativement oubliables, et encore : deux l’ont été au sein même de l’Union Européenne. Pourtant, en aménageant dans mon nouvel appartement, en 2010, à seulement deux kilomètres du précédent, c’est un bouleversement que j’ai connu, un dépaysement mental, une reconfiguration totale. J’accédais ici à « une autre version de moi-même », comme dirait Meyerowitz, en m’installant dans une vie que je n’avais pas connue autrefois.

Des rencontres et des voyages, on en fait de multiples, par chez soi, pas loin, avec la lecture, le cinéma, Internet, voire le boulot, auprès de tous ces inconnus rencontrés via la photo. Paris est la première destination touristique du monde. Je suis sur place. Touriste à domicile, voyage sur place, c’est bien assez comme ça.

Conclure aujourd’hui avec ce mot de Bukowski : « Ils ont tous la bougeotte, ils se mettent à parcourir le monde (voyez Ginsberg, Corso, Kaja, Burroughs, etc., etc.). Je ne sais pas trop ce que ça signifie, mais je me rangerai du côté de Faulkner qui pensait qu’il y avait largement de quoi faire juste autour de son paillasson. Cette chasse à la culture dans le monde a pour moi une trop forte odeur de Cadillac neuve. » Correspondance (1958 – 1994)