Holy water

28/11/2018

Il est sans doute un peu chauvin, mon guide, quand il veut me convaincre qu’une offrande, un puja, un geste de dévotion accompli ici à Pushkar, ce seul lieu en Inde dédié à Brahma, a beaucoup plus de valeur que dans tout autre pèlerinage en Inde.  C’est un privilège rare de me trouver au bord de ce lac que le Dieu Brahma, le Créateur, a choisi pour lui-même y faire un sacrifice, ici au point de chute du lotus que le Dieu tenait dans la main durant son périple. Le lac ressemble d’ailleurs à un lotus tombé du ciel : petit et circulaire (une demi-heure suffit pour faire le tour), le lieu est devenu un important centre de pèlerinage hindou. Son eau lave entièrement les dévots de leur fautes, et si le bain est pris pendant les jours auspicieux, il produit alors assez de mérite pour assurer au croyant sa délivrance d’ici bas. De plus, tout sacrifice sanctifié par son son eau assurerait  la réalisation de son vœux, et son bonheur et celui de sa famille.

J’avais donc été mis en condition. Déjà j’avais appris que dans le don, ce n’est pas le montant qui importe, c’est l’intention. Cinq cents roupies offertes à contre-cœur n’ont pas de valeur, ou presque. C’est l’intention qui compte, l’élan qui vient de soi.

Sans le savoir encore, j’allais bientôt être mis sérieusement à contribution.

Tous visiteurs nouveaux sur les Ghâts, ces terrasses en escaliers qui entourent le lac pour faciliter les cérémonies et les ablutions, se voyaient inévitablement approcher par des prêtres de toutes sortes leur proposant une poignée de fleurs pour faire des oblations.

Les livres qui nous servent de guide nous mettent tous en garde : en acceptant, nous serons entraînés dans un rituel plus long accompagné toujours d’une offrande additionnelle sortie de son portefeuille. J’évitais donc tous ces maitres de cérémonie, sans égard si nécessaire.

Mais cette fois mon guide m’abandonna brusquement aux mains d’un « bon prêtre » qu’il avait choisi. J’allais accomplir une « puja » dans les règles et tout apprendre sur le déroulement du rite. Je m’assis au bord de l’eau au côté de mon  maitre. Il était juste de commencer par se laver les mains, symboliquement du moins. L’accueil chez les bénédictins ne se fait pas autrement : le Père Abbé en personne, à l’entrée au réfectoire, verse un peu d’eau sur vos mains tandis qu’un moine recueille l’eau par dessous dans un bassin.

Mon maitre ici me montre ce que la corbeille des offrandes contient. D’abord une profusion de pétales de roses – la région est connue pour les roses qu’elle produit. Puis des graines, des poudres indigos et oranges et des grains de riz pour le bonheur. Même un fil de couleur pour le poignet afin que les autres prêtres  sachent que le Pujà, je l’ai fait.

Ensuite il a placé dans le creux de mes mains ouvertes ce qu’il enlevait un à un du panier pour que je les jette dans le lac, tout en répétant après lui des mots un à un, du hindi ou du sanscrit auxquel je ne comprenais rien. Et c’est en grinçant des dents que les dieux ont du m’entendre, tellement j’écorchais ces paroles dans leur langue, et plus encore les formules et mantras…

Puis j’ai dû nommer mes parents et tous les membres de ma famille en jetant à chaque fois mes offrandes dans le lac. Alors le prêtre me demanda : « Et combien vas-tu donner pour le bonheur de ta famille… ? Certains donnent même des dollars, des mille et des cent… » Mon cœur criait « Oh moi, je donnerai des million,  et tout… tout ce que je possède… ». Mais par prudence, je prononçais le montant prévu pour ses services, soit cinq cent roupies, ou sept francs cinquante en Suisse.

Ils sont vraiment filous, comme ils entremêlent le bonheur à vie des miens et leurs petits sous sous.