Calvino

20/01/2017

 

Le centre funéraire de Montoie est une usine. Se succèdent les adieux avec l’allure de trains qui entrent en gare pour repartir aussitôt, une fois les passagers descendus, remplacés par ceux qui montent. Une cohorte bruyante d’Africains à la vestimentaire chamarrée quitte les lieux. Une femme pleure avec sous le bras une photo en couleur du défunt. Elle est soutenue par deux matrones dont l’une rit avec sa voisine pendant que l’autre console la pleureuse.

Voilà qui aurait plu à Charles-Henri.

Pendant ce temps, en petits groupes qui s’agrègent sur les escaliers, les vieilles connaissances meublent les silences de souvenirs, de réflexions molles sur le temps qui passe.

Voilà qu’apparaît la nouvelle pimpante et flamboyante  directrice du Musée de l’Elysée, (musée de la photographie fondé en 1985 par Charles-Henri qui se repose 50 mètres plus loin pour toujours). Comme des mouches sur du miel, les quelques-uns présents, embrassent la jeune femme, et j’en ferai bien de même, mais une africaine rembranesque, enveloppée dans de la zibeline synthétique lance un regard amusé au groupe d’hommes (habillés tout en noir) qui entoure la jeune successeur (successerice, eresses ?) du défunt à qui nous venons dire au revoir.

Vais vers elle.

-Madame, on dirait que votre manteau est en neige, on dirait de la zibeline – il vous va bien.  Lui dis-je avec une arrière-pensée et la main sur l’étui de mon appareil photo. Mais la décence me modère. Elle sort d’un enterrement, moi j’y vais, n’exagérons pas. Et vais m’asseoir.

Peu de photographes, beaucoup de têtes grises, et me passe la main dans les cheveux. Mais où sont donc tous ceux à qui Favrod a donné sa confiance, ses murs et la renommée du musée ?

Voilà le pasteur, cet intermédiaire patenté entre le visible et l’invisible, qui va badigeonner l’assemblée de sa liturgie. Je parie qu’il y aura dans son speech les mots :  joie, éternité, pour toujours, et c’est le cas. Mais sa voix porte, elle est forte, elle fait tenir les mots debout. C’est déjà pas mal. Je cherche les amis, peu, vois Luc, cherche Maxime, considère ma voisine, qui est-t-elle donc qui chante à mes côtés ? Tiens Ferla, l’homme de radio, il a bien vieilli, rend un bel hommage, cite Calvino, ça me le rend encore plus sympathique, irai le lui dire.

Puis les offrandes, n’oubliez pas, c’est pour soutenir – j’ai déjà oublié quoi. Les saluts à la famille, s’il vous plaît ne serrer pas les mains, puis la verrée au théâtre de Vidy.

Alors à Vidy nous picorons petits fours et cacahouètes, retrouvons de vieux amis, lorsque l’on demande le silence.

-Mesdames, Messieurs, je suis l’ambassadeur d’Algérie, j’ai un message que m’a envoyé le Président Bouteflika ce matin et j’aimerais vous le lire.

Et il lit.

Je suis surpris par la vivacité et les belles tournures de l’hommage du Président algérien alors que son AVC de 2013 a sacrément diminué sa mobilité, son élocution et sa capacité à gouverner.

L’hommage de Bouteflika est applaudi. Et quelques-uns découvrent, stupéfaits, l’activisme de Favrod à l’époque des accords d’Evian. Enchaîne un petit monsieur, à la prose vive et limpide. Un ancien du FLN ((fondé en 1954) il parle d’engagement politique, de combats, de privations. De menaces physiques que Favrod a subies, de la prison que Jean, un Suisse, ici présent à Vidy a dû faire en France parce qu’il avait été un des émissaires du FLN.

Estime en brassées. J’ai envie de dire quelque chose, ça me démange, mais n’en n’ai plus le courage.  Après d’aussi glorieux hommages, mon bafouillis n’en serait que plus insipide.

Juste vite encore te dire, Charles-Henri :

-Tu m’as appris qu’on ne pouvait bien penser aujourd’hui qu’avant d’avoir compris ce qui nous a précédé.