un naufragé

12/03/2021

L’autre jour je l’ai aperçu dans une aube grise, froide, sous l’abribus situé devant le commissariat où il s’était installé pour la nuit. Pourquoi là ? Dissuader l’agresseur nocturne ? On le reconnait à son vélo chargé comme une mule, à son visage grêlé et mangé par la barbe. Diogène à bicyclette ? Il circule sur le secteur depuis des mois, des années, seul, isolé, quand on le voit il ne pipe mot, nos regards ne se croisent pas. C’était tôt au commissariat, la nuit refluait aussi lentement qu’il levait le camp et s’affairait avec ses sacs. Dans un semblant de clarté et le silence il allait, venait, rassemblant ses maigres affaires, duvet, etc., les empilant sur le porte-bagage. Chancelant, sous l’effet du froid sûrement, sommeil perclus de trous, estomac vide, une silhouette étique. J’ai fait demi tour après quelques mètres, le cœur brisé, pris d’une tristesse aussi brutale qu’absolue, lui ai filé deux euros. Il s’en est saisi sans piper mot, furtif, en esquissant un sourire. Je lui souffle : bon courage. Mais déjà il s’était éclipsé. Me suis senti mal, idiot (« bon courage… »).

Un autre jour vous le retrouvez, le devinez, plutôt, couché cette fois-ci derrière le commissariat, près de la mairie, pas loin de l’état civil, naufragé, sous une clim et cette affiche. « Cruelle ironie », dit-on parfois.