des feux dans les bois

16/11/2016

Ça s’est fait dans la joie. Les plus vieux disaient : C’est comme ça que j’aimerais m’en aller, d’un coup, comme lui, quelle belle fin. D’autres se contentaient de demi-sourires et savouraient, un peu à l’écart, de pudiques retrouvailles. Les plus jeunes étaient les plus gais, sinon les plus insouciants parce que trop distraits par la vie et tout son cortège de probables pour penser à la mort. Les enfants de Jean-Jacques se sachant les suivants, puisque chacun son tour, se sont réjouis avec gratitude de tout ce qu’ils avaient reçu de ce père aimant : savoir que la joie était dans l’instant, toujours s’ouvrir à l’autre sans jugement, faire de la famille un lieu d’accueil quels que soient les aléas de la vie. Amen aurait dit le Pasteur, sacré bonhomme ce Pasteur, qui a su tricoter le terrestre et le céleste divinement. Fernand, lui, venu avec sa mère dans la caisse avant de son vélo, s’est fait la voix d’Aragon. A fait jaillir ses vers*, tout comme il aimait faire des feux dans les bois, pour repousser, avec l’aide de la poésie, l’inquiétude et le désarroi dans la gueule des ténèbres.

 

 

*Que la vie en vaut la peine
C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes.
Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent. Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix.
D’autres qui referont comme moi le voyage
D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages.
II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
II y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant.
C’est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.
Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement.
Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l’échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.
Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.
Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre.
Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font.
Malgré l’âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.
La cruauté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri.
Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
De toute sa croyance imbécile à l’azur.
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.
Louis ARAGON
Les yeux et la mémoire – Chant II – 1954 –