Manque de courage
12/08/2016
Ponge dans la tête, Francis, le Parti pris des choses, que je révise paresseusement en marchant. Je passe devant une arcade où une demoiselle racole le chaland avec un petit bonjour et un bout de savon coloré présenté sur un petit plateau argenté. Je pense alors au Savon de Ponge :
Si je m’en frotte les mains, le savon écume, jubile…
Plus il les rend complaisantes, souples,
liantes, ductiles, plus il bave, plus
sa rage devient volumineuse et nacrée…
Il faut dire qu’il fait beau et que le soleil, lui aussi, fait mousser les sourires. Je croise une dame, rondouillarde, un fichu sur la tête, un gobelet en plastique blanc à la main. Je smile mais elle ne me voit pas quand tout à coup, me fonce dessus un grand sec engoncé dans un costume bleu roi, il m’évite, me dépasse, je me retourne, et je le vois empoigner brutalement la dame par le collet.
-Tu viens avec moi, tout de suite…
Et l’embarque. Faut-il intervenir ? J’hésite, accélère le pas, les suis.
-Tu craches plus jamais devant mon magasin !
-Pardon mézieu, pardon.
-Tu fais ça en Roumanie, pas ici, t’as compris, t’as compris?
Le savon est une sorte de pierre, mais pas naturelle : sensible, susceptible, compliquée.
Elle a une sorte de dignité particulière.
Loin de prendre plaisir (ou du moins de passer son temps) à se faire rouler par les forces de la nature, elle leur glisse entre les doigts : y fond à vue d’oeil, plutôt que de se laisser rouler unilatéralement par les eaux.
Ps : au moment où j’allais intervenir – mais en fait pour dire quoi ? faire baisser la pression ? – je reconnais le propriétaire du magasin. C’est un de mes clients. Merde. Alors là, j’ai renvoyé mon courage à la niche et me suis dit : en rajouter pour faire mousser ? Non !